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D' Aubigneé, Theodore-Agrippa - 04 LIVRE IV — LES FEUX
Identifier
028944
Type of Spiritual Experience
Background
A description of the experience
LIVRE IV. — LES FEUX.
« Jérusalem, ouvre tes portes. » Voici venir la procession des élus, des fidèles, des champions de la foi. Que Dieu donne au poète de ne point faillir à sa tâche ! Sa conscience lui est apparue en songe et lui a fait une loi de tirer de l’oubli les noms de tant d’héroïques martyrs. Entre eux point de choix : le plus humble est l’égal du plus illustre. C’est d’abord, ouvrant cette liste des glorieux confesseurs de Jésus-Christ, Jean Huss et Jérôme de Prague, dont les cendres jetées au vent furent semences fécondes ; les pauvres de Lyon, dignes successeurs des Albigeois; en Angleterre, « Gérard et sa bande », Wiclef, à qui revient l’honneur d’être le premier des témoins de ce pays ; et Bainam, et Fricht, Thorb, Bewerlan, Sautrée, le grand primat Krammer, « l’invincible Haux », Norris, Anne Askeuve et Jane Gray, Bilnée, le « vaillant Gardiner », les trois Agnez, Florent Vénot, les quatorze de Meaux et le paysan de la forêt de Livry; le paumier d’Avignon, les deux frères de Lyon et les cinq écoliers brûlés dans cette même ville; la demoiselle de Graveron, la constante Marie, le conseiller-clerc Anne Du Bourg, la dame de La Caille ; enfin tant d’autres témoins français et flamands, — d’Anvers, de Cambray, de Tournay, de Mons, de Valenciennes (ce n’est ici « qu’un indice à un plus gros ouvrage »). L’Italie et l’infidèle Rome ont eu aussi leur confesseur, un intrépide « soldat de Christ », Montalchine. Gloire aussi à ces deux prédicateurs obstinés de l’Evangile, Philippe de Gastine et Nicolas Croquet, et au Dauphinois Lebrun ! — Celui qui inscrit ici ton nom, ô Gastine, eut avec toi pour maître « notre grand Béroalde», et fut « ton privé compagnon d’escoles et de jeux » puisse Dieu lui donner d’être « ton compagnon de feux » ! — N’oublions pas non plus « le martyre secret » des deux filles du ministre Serpon, « dans la nuit ténébreuse » de la Saint-Barthélemy, martyre d’autant plus mémorable que les bourreaux étaient les propres parents des victimes. Il faut aussi rappeler ces trois Anglais qui allèrent « jusque dans Rome attaquer l’Antechrist », et dont deux furent étouffés sans bruit, tandis que le troisième fut publiquement martyrisé. Ses cendres furent fécondes, témoin ce vieillard que trois ans de prison avaient blanchi, témoin le capucin Lemaigre, dont la voix prêcha « quarante jours entiers, en la chaire d’erreur, la pure vérité ». Ajoutons à ces confesseurs du printemps de l’Église ceux qui ont « esjoui son automne », — Une rose d’automne est plus qu’une autre exquise, — et consignons ici la fière et belle réponse du vieux Bernard Palissy à ce roi déchu alléguant la contrainte que lui, roi, subissait et l’exhortant à se soustraire au supplice par une feinte soumission : « Sire, répliqua le potier, il est temps de quitter sans regret cette vie, alors que mon roi avoue qu’il est contraint! Mais lui et tous ceux qui l’ont contraint ne me contraindront point, car je sais mourir, et, partant, ne sais point craindre. » Pour le bien de la France, il eût fallu « que ce potier fùt roy, que ce roy fût potier ». La Bastille alors « n’emprisonnait que grands » : donc elle était digne de servir à un Bernard Palissy de prison et d’échafaud. Elles y eurent cet héroïque vieillard pour compagnon et pour conseiller, les deux demoiselles parisiennes, les deux soeurs que bientôt la couronne du martyre « para d’angélique beauté ». — Ainsi Dieu vit, à celte illustre époque, dix milliers d’âmes méprisant la mort et triomphant des bûchers, pour lui donner gloire, et non seulement des doctes et des grands, mais de « pauvres abjects saintement ignorants », déployant de « braves courages », sacrifiant pour la vérité la vie et leurs délices. Mais il vit aussi, blasphémant contre lui, et opprimant et persécutant les siens, ceux-là qui usurpaient « le lieu et le nom de l’Eglise ». Il ne put supporter cette vue sans en ressentir un violent courroux et sans « se repentir d’avoir formé la terre », qu’il abandonna pour regagner le ciel.